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Essai
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Les Amitiés:
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 Dans l'appartement de la rue Pigalle comme à Nohant, Chopin et Sand ne se contentent pas de partager les meubles et les murs. Ils ont en commun nombre d'amis, d'artistes, de penseurs, de philosophes... C'est un véritable bouillon de culture!
        Les principaux personnages sont, outre Chopin lui-même et George Sand, Eugène Delacroix, Pauline Viardot célèbre cantatrice, Pierre Leroux, le violoncelliste Franchomme, Fontana l'ami de Chopin, et un certain Mickiewicz que l'on donnait pour plus profond que Goethe et Byron.


            Ce Mickiewicz était un visionnaire, un inspiré qui électrisait son auditoire par ses récits où voisinent la raison et la folie. Même Sand était conquise. Chopin aussi se laisse envoûter par ce " conteur " un peu spécial. Ce qu'il ignore, c'est que Mickiewicz pense que Chopin est le mauvais génie de Sand..
            Après ces récits Chopin se mettait au piano, en commençant par de petits arpèges, recherchant la tonalité qui correspondait le mieux à l'atmosphère du moment.

" La note bleue "
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        Puis il attaquait avec un de ses morceaux favoris, une étude ou un scherzo.
Un soir, un des amis présents écrit:
" Ses regards s'animaient d'un éclat fébrile; ses lèvres s'empourpraient d'un rouge sanglant, son souffle devenait plus court "
        Parfois il captivait son auditoire jusqu'à l'extase, et lorsque tout le monde retenait son souffle pendant un passage pianissimo, Chopin donnait un grand coup de poing sur les touches de son piano et éclatait de rire.
        Parmi les amis du couple Chopin-Sand, se trouvait Delacroix. Il était le plus pur des créateurs. Une fois de plus ses récits sont d'une importance capitale, car il entretenait avec Chopin d'excellents rapports. Il nous dit:
" J'ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin, que j'aime beaucoup, et qui est un homme de distinction rare: c'est le plus vrai artiste que j'ai rencontré. Il est de ceux, en petit nombre, qu'on peut admirer et estimer."

         Un ami de Delacroix, Baudelaire, disait de lui qu'il avait l'amour du grand, du national, de l'immense, de l'universel.
Quoi de plus contradictoire à l'œuvre de Chopin? Si opposés que soient leurs goûts en matière d'art, Chopin et Delacroix se comprennent pourtant fort bien.
Chopin préfère Ingres à Delacroix, et ce dernier préfère Mozart à Chopin. Ils se ressemblent même dans la maladie. Ils sont tous deux chétifs, malingres, tousseux. Ils vivent par l'esprit.
        Un jour, on demanda à Chopin pourquoi il ne composait pas un opéra. Sa réponse fut sans appel:
" Ah! laissez-moi ne faire que de la musique pour piano; pour faire des opéras je ne suis pas assez savant."
Il avait l'obligation morale de la perfection, de l'achevé. Il excellait dans le détail.
Avec de " petites choses" il faisait de l'infiniment grand.


.        Un autre ami de Chopin c'est Franz Liszt. On les a opposés de tous temps. On a opposé leur jeu, leurs méthodes, leurs oeuvres.
Mais Liszt et Chopin s'aimaient. Personne ne jouait les œuvres de Chopin comme Liszt. Même Chopin disait:

" J'aime ma musique quand elle est jouée par Liszt "
Liszt aimait beaucoup l'adagio du deuxième concerto de Chopin et le jouait comme personne.
            Chopin le romantique, se réclamait de Mozart et de Bach. Beethoven l'effrayait, et il trouvait Mendelssohn quelconque. Schubert et Schumann n'étaient guère plus appréciés.
        Bien que romantique dans l'âme, Chopin ne s'engagea dans aucune mêlée et vécut à l'écart de toutes les agitations politiques de l'époque.
En conclusion je citerai Liszt:
"Chopin a passé parmi nous comme un fantôme. "
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L'esthétique:
        Le piano a joué un rôle déterminant chez tous les compositeurs. Bon nombre d'entre eux ont écrit pour le piano, et presque tous s'en servaient pour composer.
Chez Chopin c'est totalement différent. Le piano n'est pas un outil, mais un ami, davantage même, le piano est son confident.
Jean-Jacques Eigeldinger dit de Chopin:
" C'est le seul génie musical du XIX me siècle dont le piano ne reflète en rien l'orchestre de son temps."

        Ferdinand Hiller, pianiste et compositeur allemand nous raconte:
" Chopin se livrait rarement; mais au piano il le faisait plus complètement que je ne l'ai jamais entendu chez aucun autre artiste musicien. Il se donnait dans un état de concentration tel que toute pensée étrangère disparaissait."
        À part quelques œuvres dont les deux concertos, Chopin n'a écrit que pour le piano. Dans son œuvre le sentiment a le premier rôle. Sa musique n'est pas inspirée d'œuvre littéraire comme chez Liszt. Elle n'est jamais narrative.
        On peut dire de Chopin qu'il est de formation classique, mais doté d'une âme romantique. Ses modèles sont Mozart et Bach qu'il joue presque quotidiennement.
" Cela ne s'oublie jamais." dit-il un jour à une de ses élèves après avoir joué plusieurs préludes de Bach.
        Bien qu'ornementées, ses phrases musicales sont faites de simplicité.
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" La dernière chose, c'est la simplicité. Après avoir épuisé toutes les difficultés, après avoir joué une immense quantité de notes et de notes, c'est la simplicité qui sort avec tout son charme, comme le dernier sceau de l'art."
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       Chopin a inventé le doigté moderne.

" Autant de différents sons que de doigts; le tout c'est de savoir bien employer les doigts, c'est de savoir bien doigter."
        Une autre invention de Chopin, c'est le Rubato. Au piano, du point de vue théorique, le rubato est l'art de libérer la main droite de toutes contraintes rythmiques au profit d'une interprétation expressive, pendant que la main gauche continue l'accompagnement de façon parfaitement rythmée.
        Tous ses contemporains étaient unanimes pour reconnaître que Chopin utilisait le rubato avec tact et bon goût. Seul Berlioz, qui n'était pas pianiste, émit quelques réserves.
" Chopin supportait mal le frein de la mesure; il a poussé trop loin, selon moi, l'indépendance rytmique."
C'est Liszt une fois de plus qui nous livre la plus belle image pour définir le rubato de Chopin:
" Regardez ces arbres: le vent joue dans les feuilles, les fait ondoyer; mais l'arbre ne bouge pas. Voilà le rubato chopinesque."

  
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