Parmi ses artistes les plus populaires Miles Davis reste le symbole le
plus représentatif de ce paradoxe et, même s’il n’est pas
intéressant d’insister sur les contradictions internes du personnage,
on peut néanmoins s’interroger sur sa quête frénétique
de succès et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir.
En effet, aussi bien dans sa vie et surtout dans sa musique, Miles Davis
n’a jamais été le révolutionnaire qu’il prétendait
être, on pourrait même dire que sous couvert d’une vulgarisation
élitiste malgré tout, il n’a fait qu’enfoncer le clou de
la conformité un peu plus loin.
Ni révolutionnaire, ni artiste maudit, Miles Davis reste le symbole
fédérateur, celui de l’accession d’une classe nouvelle à
une nouvelle culture, le jazz. Ainsi lorsqu’il puise, dans le rock entre
autres, son inspiration, galvanisant de vieux thèmes comme le fit
Bach avant lui lorsqu’il improvisa ses plus grandes fugues sur des airs
de chansons de cabaret, Miles Davis ne se dirige absolument pas vers une
conception révolutionnaire d’un art total magnifique et incorruptible
mais bien vers une forme d’expression personnelle qui est avant tout commerciale.
Ce qui l’intéresse en effet c’est la célébrité,
la célébrité et le pouvoir, soi-disant pour satisfaire
un désir revanchard d’égalité raciale...
Son aventure artistique n’a rien à voir avec celle d’un Parker,
d’un Powell, d’un Coltrane, alors même qu’il partagea longtemps la
musique de ces derniers. En exposant, en affirmant ainsi ses normes esthétiques
c’est non pas un art total mais un art totalitaire dont il se fait le chantre,
d’autant plus insidieux qu’il réussit à passer encore pour
ce révolutionnaire qu’il n’a jamais été.
Le Jazz, tout à fait comparable à ce parcours contradictoire,
est depuis longtemps une religion établie dont les adeptes autant
que les grands prêtres se targuent plus que jamais de cette élite
musicale qui leur permet de considérer avec hauteur les autres formes
d’expression musicales, les regarder comme mineures quand ils ne disent
pas ouvertement que leurs auditeurs ne sont que des crétins. Ce
sectarisme absolu est d’autant plus paradoxal qu’il se réclame par
ailleurs d’une totale liberté. L’art totalitaire auquel nous faisions
allusion, avait au moins l’excuse d’une dictature derrière lui,
le jazz non.
.
Le jazz modal a envahi la planète depuis longtemps, les styles les
plus bâtards et en même temps les plus élaborés,
fusion, jazz-rock, etc…, ont généré des générations
de musiciens virtuoses et techniciens, des singes savants sans âme
qui se contentent « d’à la manière de » approximatifs
et qui séduisent un public sans cesse plus exigeant, car, comme
le fait justement remarquer Martial Solal,